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L’édition française du Livre Rouge a été proposée en 2012. Le public anglais a pu avoir connaissance de l’opus jungien quelque temps auparavant. L’importance de celui-ci était mentionnée par Jung dans sa vraie fausse autobiographie (2) Souvenirs Rêves et Pensées. Des extraits en circulaient sous le manteau (en France au moins depuis la fin des années 70), en particulier les fameux Sept sermons aux morts qui composent la dernière partie du livre, intitulée Epreuves.
Pourquoi si tard ? Et pourquoi Jung n’en a pas autorisé la diffusion à un grand nombre de son vivant ? Il décède en 1961. Son œuvre s’achève sur un florilège de psychologie alchimique, notamment son Mysterium conjunctionis (1955-1956) extrêmement riche d’érudition et d’amplifications des images symboliques, difficile à lire sans y consacrer beaucoup de temps ; et, entre autres, sur quelques essais et recueils pénétrants, et beaucoup plus abordables, comme Présent et Avenir (1957) ou Problèmes de l’âme moderne (écrit en 1960).
De nombreuses explications ont déjà été données. Jung craignait-il que la forme baroque de son ouvrage n’alimente à l’encontre de son œuvre la critique déjà sévère d’un milieu scientifique, dont la doxa psychanalytique était le maître étalon ? Le trouvait il trop empreint de subjectivité ?
Pensait-il que le contenu en était trop personnel et que sa publication n’aurait abouti qu’à alimenter la dévotion, (ou au contraire la détestation), dont il était l’objet ? Il dénonce pourtant avec force l’inanité d’une telle dérive dans de nombreux chapitres du Livre, nous mettant en garde contre toute forme d’idolâtrie et d’imitation ?
L’explication pourrait être ailleurs. Ce n’est pas pour rien que le praticien et philosophe de Zurich s’est intéressé aux qualités du temps, élaborant en même temps que son Aïon -Etudes sur la phénoménologie du Soi, publié en 1951 et qui montrait les lentes persistances et modifications de la vie de l’âme au cours de l’histoire, une théorie de la Synchronicité (3). Jung était à sa façon sensible au sens de l’histoire et à la qualité du temps. Il était tout à fait conscient du fait que les actions et de décisions qui n’interviennent pas au moment opportun ne peuvent atteindre leur but.
Peut-être avait-il procédé à un ou plusieurs tirages du Yi King avant de réserver un sort à son opus et de l’enfermer pendant quelques années dans ses réserves pour le temps « à-venir » ?
On peut rationaliser tout ça aujourd’hui et se dire qu’il fallait d’abord affiner la psychanalyse puis commencer à ingérer la psychologie analytique, dite aussi complexe. Le travail qui conjugue l’absorption des deux corpus reste d’ailleurs largement inachevé pour de nombreux représentants
du milieu « psy ». Il importait aussi de commencer à percevoir tant les vertus que les limites de ce qui avait été déjà proposé par Freud pour oser se situer dans une alliance plus forte et très lucide avec l’inconscient, en considérant que ce que recouvre ce terme est plus vaste que ce qu’on en avait dit jusque-là.
Or le Livre Rouge c’est précisément cela : l’histoire d’une nouvelle alliance (d’abord contrainte et prudente, avant d’être tout à fait saisissante et illuminante). Freud en son temps avait promis à Jung le destin de Josué, successeur de Moïse auquel lui-même s’identifiait pour les besoins de la cause. Il serait cependant plus exact d’affliger Jung de la gloire blessée de Jacob, luttant avec l’Ange au gué de Jabbok (Genèse 32 23 32) et y affrontant les puissances de l’Eternel. Une telle blessure s’est traduite ensuite par un extraordinaire élargissement de la conscience, et par une libération de son énergie vitale créative.
Nous sommes au vingt et unième siècle, et le Livre rouge a été porté à la connaissance d’un plus large public. Jung se défend, dès l’abord de cet ouvrage, de faire œuvre scientifique et de rechercher une quelconque gloire en partageant son expérience singulière. Et il ne livre le fruit de ses méditations qu’à à bien peu initialement. Conçu en temps de crise son livre-témoignage traduit la quête de sens d’un homme bouleversé dans sa vie personnelle et de surcroit affecté par un contexte sacrificiel effroyable : la grande guerre (14-18) et le suicide de l’Europe occidentale.
On ne pourrait que s’inquiéter de sa parution, à l’heure où le catastrophisme et la collapsologie ne sont plus seulement le prurit des sectes illuminées et des Savonarole(4) modernes mais le discours de certains de ceux, scientifiques et décideurs, dont l’exigence de rationalité est (ou devrait être) beaucoup plus haute.(5) Si le moment de la publication de l’expérience de Jung correspond à un sens, ce à quoi sa lecture et sa méditation nous engagent est autre chose qu’un passe-temps érudit et une nouvelle acquisition de connaissances sur les fondements ou la genèse de la psychologie analytique.
La question se pose alors de savoir en quoi cet étrange ouvrage qui relate et interprète une expérience personnelle, singulière, tout en s’inscrivant dans un contexte donné, celui d’une aspiration à une renaissance spirituelle et culturelle, nous concerne ? La transformation des choses anciennes et le passage à un monde renouvelé exigent-ils aujourd’hui qu’un plus grand nombre de personnes inventent ou explorent une voie selon les inspirations « objectives » qui se font sentir à eux. Tel pourrait être le sens synchronistique de la publication récente du Livre.
On pourrait donc supposer aujourd’hui l’ urgence de l’individuation pour ce plus grand nombre. Et cela nonobstant l’affirmation initiale de Jung, qui la définissait dès 1916 comme l’adaptation aux conditions intérieures et la création de valeurs nouvelles, et spécifiait bien qu’elle ne s’adressait qu’à une minorité. On doit repréciser alors qu’il ne s’agit pas, pour ceux qui sentiront une telle exigence, d’imiter Jung, mais tout de même de se fortifier de son courage pour mener leur quête de manière singulière. L’individuation imposera à chacun de résoudre ses propres contradictions, et de répondre à une aspiration profonde en fonction d’une expérience et d’une pratique dont Jung certes précisera dans son oeuvre les modes et les contours mais en aucun cas le contenu et l’aboutissement qui resteront singuliers.
Quoi qu’il en soit de l’accroissement des vocations, cette individuation commence toujours par un exercice de lucidité qui est inséparable de l’intelligence vraie : la connaissance de l’ombre et la prise en compte de ce que l’on ne peut pas ou de ce dont on ne veut pas. Elle imposera à ceux qui s’y voueront de gré ou de force, de plus en plus nombreux on l’espère, la tâche d’identifier et de domestiquer non seulement ce qu’il y a de meilleur mais aussi ce qu’il y a de pire en eux. Et elle mettra à l’épreuve leur narcissisme et leur unilatéralité.
Cela étant on ne peut manquer de s’étonner du caractère extrême, et souvent apocalyptique de la présentation par Jung de sa confrontation avec l’inconscient. Affaire singulière, exagération, expression d’une urgence ou d’un fort déséquilibre, chacun jugera.
On peut donc se demander si Jung n’exagère pas, et pourquoi il dramatise autant dans ce Livre rouge qu’il ne laisse pas publier de son vivant. Sommes-nous plus avancés aujourd’hui et n’avons-nous pas déjà intégré depuis un peu ce qui se présentait à lui avec beaucoup de violence ? Le contexte actuel peut il être rapproché de celui du début du XXéme siècle, avant le début de l’effondrement de la société européenne ? Les choses vont-elles mieux ?
Après avoir supposé que les vocations à vivre l’individuation, telle que Jung commence à en préciser les lignes de force dans le Livre, étaient plus nombreuses, on se demandera donc si le chemin qui y mène (à celle-ci) s’accompagne forcément de l’effroi que lui a connu ; si cette individuation doit forcément prendre des formes aussi inquiétantes que celles qu’il a décrites ?
Le Livre Rouge, sauf le respect que l’on doit à son auteur, est souvent confus.
Il est plein d’emphase, souvent péremptoire, imagination active oblige. Plus que déroutant parfois. On pourrait dire que l’inconscient ne ménage pas ses effets. Les voies de la providence comme les voix des bienveillantes sont assurément toujours déroutantes pour l’homme moyen, ordinaire, sensible, bref pour tout un chacun.
Et il n’est pas toujours évident de relier les thèmes du Livre non seulement aux items contemporains (dont on pourrait dire qu’il n’a cure) mais encore aux rêves de nos patients d’aujourd’hui.
Un événement onirique parmi d’autres, exactement contemporain de l’écriture de ce préambule, apporte néanmoins une pièce au dossier.
Pour cette très jeune femme (elle a vingt-deux ans), l’impératif de considérer ensemble la lumière et les ténèbres, de ne pas s’en tenir à cette lumière qui pourtant peut être souvent considérée
comme le but de l’existence va être affirmé avec force.
Comme si l’un des opposés appelait immanquablement l’autre
Comme si tout simplement on ne pouvait pas faire l’économie du travail sur l’ombre
Tâche qui sera d’autant plus éprouvante que la personne est normalement idéaliste, délicate, romantique, etc
Plusieurs directions de recherche avaient été esquissées par des rêves apportées lors des premières séances. Il s’agissait pêle-mêle pour Leila de sortir de l’enfance et de l’adolescence, d’apprendre à se situer dans la relation avec l’autre, de découvrir ses limites, de modérer un registre qui pouvait être exagérément pulsionnel et de l’accorder au sentiment. Rien que l’on ne puisse pas s’attendre à trouver donc
Le travail s’annonçait plutôt bien d’autant que cette jeune personne aspirait vraiment à devenir plus consciente en tenant compte de l’inspiration de son âme
Elle arriva à la quatorzième séance toute nimbée d’une paix et d’une joie qui ne ressemblaient pas précisément aux humeurs qui l’avaient mené en analyse