Dans l’épilogue de Psychologie et Alchimie Jung nous rappelle (et nous répète après bien d’autres, cf Évangile de Jean) que se cherche en l’homme une conscience plus haute :
« en prenant comme base la psyché [...] nous entrevoyons la psyché humaine sous jacente qui, au contraire de la conscience, se transforme à peine au cours des siècles, et où une vérité vieille de deux mille ans est encore la vérité d’aujourd’hui vivante et active.
Nous y trouvons aussi ces faits psychiques fondamentaux, qui sont restés les mêmes depuis des millénaires, et qui seront encore les mêmes dans des millénaires. Vus sous cet angle, les temps modernes apparaissent comme des épisodes d’un drame qui commença dans les temps les plus reculés et qui s'étend par-delà les siècles juque dans un futur éloigné. Ce drame est une Aurora consurgens- la naissance de la conscience dans l’humanité »1.
La voie de l’individuation pourrait elle alors se définir comme une participation à l’incarnation de cette conscience ?
Notre intérêt pour la philosophie alchimique provient de ce qu’elle décrit, sous une forme projetée, ce qui se cherchait:
« Le processus alchimique était essentiellement une exploration chimique, à laquelle se mêlaient, par voie de projection, des contenus psychiques inconscients [...]. Du fait du caractère impersonnel, purement objectif, de la matière, ce sont les archétypes, impersonnels et collectifs, qui sont projetés; en premier lieu [...] c’est l’image de l’esprit prisonnier dans les ténèbres du monde -ou, en d’autres termes, le besoin de rédemption, condition de relative inconscience ressentie comme pénible- que l’homme reconnaît dans le miroir de la matière [...]. »2
Ce que Jung nous autorise à considérer plus précisément après qu’il ait constaté la similitude des images apportés par ses patients avec celles des répertoires symboliques traditionnels. Le fruit de ses recherches et de ce rapprochement est exposé dans la deuxième partie de son œuvre et notamment dans Psychologie et Alchimie :
« Psychologie et Alchimie » s’efforce de décrire comment une expérience du processus d’individuation se présente sur le plan pratique, et quels symboles oniriques apparaissent (intro)… Bien que les formes que prend l’expérience chez chaque individu soient d’une diversité infinie, elles varient, comme le montrent les symboles alchimiques, autour de certains types centraux ».
Jung nous prévient que ce qui est projeté appartient au non moi psychique:
« Il ne nous reste probablement pas d’autre possibilité que de répudier la prétention de la conscience à être la totalité de la psyché et d’admettre que cette dernière est une réalité que les possibilités actuelles de notre entendement ne nous permettent pas de saisir ».
Il précise ensuite ce que l’on va trouver si l’on entre en relation avec ce domaine du non moi : les processus de centralisation formateurs de la personnalité dans l’inconscient, autrement dit, les dynamismes qui concourent à la création d’une conscience plus haute :
« Un terme scientifique tel qu’individuation ne signifie en aucune façon qu’il s’agit d’un état de fait définitivement tiré au clair. Il désigne seulement un domaine de recherche jusqu’à présent très obscur et qui a bien besoin d’être exploré : celui des processus de centralisation formateurs de la personnalité dans l’inconscient. Il s’agit de processus vitaux qui, du fait de leurs caractères numineux, ont de tout temps constitué le stimulant le plus important à la formation de symboles… L’intellect peut décrire ces processus créateurs, seule l’expérience vécue peut réellement les saisir [...]3 ».
La réalisation de la conscience n’est donc possible que si l’horizon conscient s’élargit par la reconnaissance de l‘autonomie de l’inconscient. Dans le chapitre six de Psychologie et Alchimie consacré à la symbolique Jung pose l’importance de la « prima matéria » comme fondement de la conscience :
« Rien de ce qui existe ne pourrait être discerné s’il n’y avait une psyché pour le discerner. Ce n’est que par la vertu de l’existence psychique que l’ « Etre » nous est donné. Cependant la conscience n’appréhende qu’une partie de sa propre nature puisqu’elle est le produit d’une vie psychique préconsciente qui, au départ, rend possible le développement de la conscience. Bien que la conscience succombe toujours à l’illusion qui lui fait croire qu’elle naît d’elle-même, la connaissance scientifique sait que toute conscience repose sur des prémices inconscientes et, ainsi, sur une sorte de prima materia inconnue».
Cette prima matéria, que l’on cherche dans ce que nous appelons désormais l’inconscient, possède une aptitude à se transformer :
« L’aptitude de la prima matéria à se transformer était imputée soit à la prima matéria elle même, soit à son essence, l’anima. On désignait celle ci du nom de Mercurius, et on la concevait comme un être double paradoxal, ou rebis. Il a été établi un parallèle entre ce Mercurius et le Christ au Moyen Age, sans doute sous l’influence du dogme de la transsubstantiation ».
La psychologie de l’inconscient est le langage et la vie de cette prima matéria. Elle en constate l’apparition comme elle en décrit les métamorphoses. On peut s’autoriser à dire que cet inconscient est comme une matière vivante, non seulement susceptible de transformation, mais encore susceptible de nous transformer. Et on peut alors se demander comment cela agit ? Les hypothèses selon lesquelles la psyché et la matière sont deux modalités d‘une même réalité transcendante, l’inconscient pouvant être défini comme une matière psychique, le corps comme une psyché incarnée, peuvent être retenues. La possibilité de transformation de la materia prima conduit Jung à affirmer, dès l’introduction de P et A :
Dans le processus analytique, dans l’affrontement dialectique du conscient et de l’inconscient, on constate un développement, un progrès vers un but [...]. Ce sont des expériences de ce type qui m’ont confirmé dans l’hypothèse qu’il existait dans la psyché, un processus tendant vers un but final et, pour ainsi dire, indépendant des conditions extérieures [...]. Les efforts du médecin aussi bien que la quête du patient sont dirigés vers cet homme total, caché et non encore manifesté, qui est pourtant tout à la fois l’homme plus vaste et l’homme futur. Malheureusement, le juste chemin vers la totalité est constitué des détours et des erreurs que nous apporte le destin. C’est une longissima via, non pas rectiligne, mais tortueuse, qui unit les contraires. (On préfère le plus souvent) se vouer à une psychologie compartimentée... Je crains qu’il faille [...] incriminer l’éducation mentale, la formation générale de l’âme de l’Européen.
Et à préciser ensuite ce que semble être ce but :
La totalité de l’homme comme représentant le but auquel mène, en dernière analyse, le développement psychique ayant lieu au cours du processus psychothérapeutique...