Extraits d'articles et notes de lectures
- Écrit par : Bertrand de la Vaissiere
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Extrait d’un ouvrage à paraître Chapitre L’autonomie de l’inconscient
La créativité de l’inconscient
Tout imparfait et paradoxal qu’il soit, poison et remède à la fois, ce grand sage (l’inconscient, l’esprit des profondeurs) est le « pharmakon » décisif. Et l’administration de celui-ci nous rend plus complets, plus réels et mieux accordés à la Nature. Celle-ci n’est pas idéale, elle est, tout simplement ! Il nous permet donc de nous rapprocher de ce que nous sommes réellement et son influence va nous permettre de nous réinscrire dans une lignée animale, d’envisager que nous sommes issus d’une information initiale, que nous avons la même origine que les roches et les arbres, que nous ne sommes ni de purs esprits ni des modèles de perfection. Qu’il existe une correspondance entre notre microcosme et le macrocosme.
Un tel maître intérieur nous ausculte, nous voit et, en quelque sorte, il nous crée. Selon une capacité de création objective, qui n’est nullement limitée par des œillères ou des projets comme l’est notre conscience vagissante. Comme le Dieu de notre enfance, avec lequel il ne se confond pourtant pas, il voit tout. Non pas (seulement ) comme une conscience morale, mais parce qu’il contient tout , le tout de l’homme, le tout de la nature :
« C’est la forme la plus antique de l’activité de création, l’obscure poussée originelle qui, au plus intime des profondeurs, coule dans tous les recoins secrets et toutes les galeries sombres, suivant la loi fortuite de l’eau, et qui, en des endroits inattendus, sourd d’un sol meuble, d’une fissure minuscule, pour venir féconder la terre sèche. C’est le maître originel et secret de la nature».
La voie des images est bien la voie humide qui vient féconder notre psychisme, autant qu’elle anime notre corps, à condition bien sûr d’en emprunter tous les tours et détours. Une telle activité donne une autre perspective à l’analyse que la connaissance de soi, au sens habituel et naïf que l’on donne à cette expression. Celle-ci étant souvent biaisée par des présupposés théoriques ou des considérations subjectives. Cette perspective plus ambitieuse est d’abord réaliste, ou écologique. Il s’agit de se considérer comme une partie du monde, de sentir que notre nature propre est traversée par toutes les forces de ce monde, que nous ne pouvons-nous soustraire à aucune. Bien plus tard l’analyse pourra s’approfondir et certaines expériences pourront être méditées, comme des traces de l’union avec le « monde un », dans le courant d’une« rubedo »,d’une œuvre au rouge qui constitue la dernière phase du travail de l’individuation.
Lire la suite : Le Livre Rouge : Révolution thérapeutique et spirituelle ( 2024)
- Écrit par : Bertrand de la Vaissiere
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La parution tardive du Livre Rouge
L’édition française du Livre Rouge a été proposée en 2012. Le public anglais a pu avoir connaissance de l’opus jungien quelque temps auparavant. L’importance de celui-ci était mentionnée par Jung dans sa vraie fausse autobiographie (2) Souvenirs Rêves et Pensées. Des extraits en circulaient sous le manteau (en France au moins depuis la fin des années 70), en particulier les fameux Sept sermons aux morts qui composent la dernière partie du livre, intitulée Epreuves.
Pourquoi si tard ? Et pourquoi Jung n’en a pas autorisé la diffusion à un grand nombre de son vivant ? Il décède en 1961. Son œuvre s’achève sur un florilège de psychologie alchimique, notamment son Mysterium conjunctionis (1955-1956) extrêmement riche d’érudition et d’amplifications des images symboliques, difficile à lire sans y consacrer beaucoup de temps ; et, entre autres, sur quelques essais et recueils pénétrants, et beaucoup plus abordables, comme Présent et Avenir (1957) ou Problèmes de l’âme moderne (écrit en 1960).
De nombreuses explications ont déjà été données. Jung craignait-il que la forme baroque de son ouvrage n’alimente à l’encontre de son œuvre la critique déjà sévère d’un milieu scientifique, dont la doxa psychanalytique était le maître étalon ? Le trouvait il trop empreint de subjectivité ?
Pensait-il que le contenu en était trop personnel et que sa publication n’aurait abouti qu’à alimenter la dévotion, (ou au contraire la détestation), dont il était l’objet ? Il dénonce pourtant avec force l’inanité d’une telle dérive dans de nombreux chapitres du Livre, nous mettant en garde contre toute forme d’idolâtrie et d’imitation ?
- Écrit par : Bertrand de la Vaissiere
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Synchronicité
Nous sommes au vingt et unième siècle, et le Livre rouge a été porté à la connaissance d’un plus large public.
Jung se défend dès l’abord de cet ouvrage de faire œuvre scientifique et de rechercher une quelconque gloire en partageant son expérience singulière et le fruit de ses méditations, d’ailleurs à bien peu initialement. Conçu en temps de crise son livre-témoignage traduit la quête de sens d’un homme bouleversé dans sa vie personnelle et de surcroit affecté par un contexte sacrificiel effroyable : la grande guerre de 1914-1918 et le quasi suicide de l’Europe occidentale.
On ne pourrait que s’inquiéter de sa parution à l’heure où le catastrophisme et la collapsologie ne sont plus seulement le prurit des sectes illuminées et des Savonarole[1] mais le discours de certains de ceux, scientifiques et décideurs, dont l’exigence de rationalité est (ou devrait être) beaucoup plus haute.[2]
Si le moment de la publication de l’expérience de Jung correspond à un sens, ce à quoi sa lecture et sa méditation nous engagent est autre chose qu’un passe-temps érudit et une nouvelle acquisition de connaissances sur les fondements ou la genèse de la psychologie analytique.
Lire la suite : Le livre rouge Révolution spirituelle et Thérapeutique (2022)
- Écrit par : Bertrand de la Vaissiere
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A propos de Nietzsche et de l’individuation
Zarathoustra
L’Evangile de Nietzsche Ainsi parlait Zarathoustra annonce le renouvellement et le dépassement de l’homme : « L’homme est quelque chose qui se doit surmonter et le surhomme est le sens de la terre ».1 Ces deux propositions se complètent dans un sens qui nous paraît aujourd’hui plus familier qu’il ne l’a été aux contemporains et à certains successeurs du philosophe. Si la première 2 pourrait paraître excessivement ambitieuse, héroïque, et risquerait, si elle était mal comprise, d’être gage de démesure, l’humus de la seconde la tempère dans le sens d’un retour à la nature et à la naturalité .3 Ce qui forcément tourne le dos à l’idéal et restitue au corps et à la matière toute leur dignité.
Les philosophes alchimistes savaient déjà que tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et ils ne nous engagent pas à établir une hiérarchie rigide entre l’âme, l’esprit et le corps. Contrairement au Christianisme dont Nietzsche dénoncera le dualisme à partir de ses excès : « Jadis l’âme considérait le corps avec mépris [..] elle voulait que le corps soit émacié, affreux, famélique » 4 Jung, de son côté, soulignera, dans Psychologie et Alchimie, que le mal et la matière forment la dyade qui a été rejetée dans les ténèbres. Elle est « l’âme divine enchaînée dans les éléments » qu’il s’agit de délivrer ».5
En s’appuyant sur certains énoncés de Nietzsche le fameux concept limite de Volonté de puissance - qui meut le surhomme- pourrait être interprété comme la force (pulsionnelle) qui anime le déploiement du monde matériel depuis l’origine, dont l’homme fait évidemment partie avec ses instincts et ses passions, force qui irrigue le corps, et fortifie le caractère 6. Bref, ce serait la puissance de vie qui participe à la différenciation de tout être vivant.
Si nous reprenons les termes de la philosophie alchimiste et de la tradition chrétienne, les passions de l’âme 7, qui mettent l’homme en mouvement, ou le possèdent, doivent tout d’abord être longuement purifiées en phase albedo. Tel est un des enjeux du travail, analytique. Peut-on ensuite rapprocher ce qui en résultera bien plus tard : l’union avec le monde un, qui est le terme de l’opus alchimique lors de la rubedo, d’ une perméabilité et d’ une docilité à l’énergie agissante dont parle Nietzsche ? Celle-ci étant pensée comme étant à l’origine de tous les phénomènes physiologiques, psychologiques, moraux et culturels.
Lire la suite : Pour en finir avec le développement personnel
- Écrit par : Bertrand de la Vaissiere
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L’ouvrage s'efforce de souligner l'intérêt d'une véritable psychologie de l'inconscient, en tant que prolongement naturel d'une psychothérapie relationnelle et, ou, d’une psychanalyse classique. Il s'efforce de démontrer l'intérêt clinique de la psychologie alchimique, à différents moments du travail analytique et de donner des précisions sur l'état d'esprit alchimique qui peut animer le thérapeute. De nombreuses illustrations cliniques sont données de cette psychologie, de ses symboles et de ses dynamiques. En précisant leur mode d’apparition, leur fonctionnalité et leur opportunité thérapeutique et en soulignant aussi leur efficacité énergétique.
L’ouvrage prend notamment appui sur les grands ouvrages de Jung que sont Psychologie et Alchimie; Mysterium Conjunctionis, et la Psychologie du Transfert Il contient aussi des développements concernant la place de la sexualité en psychologie analytique et quelques aspects qui préfigurent un futur ouvrage sur la question très énergétique du mal.
Une première question se pose : Pourquoi l’alchimie ? Qu’est que cette vieille science ou plutôt cet art si étrange pourrait nous apprendre ? La perplexité qui a saisi certains des proches de Jung lorsque il s’est engagé dans l’étude des textes anciens n’a d’égale que l’indifférence actuelle dans laquelle on tient trop souvent ce versant de la psychologie analytique quand d’ailleurs ce n’est pas la psychologie analytique dans son ensemble. Bien sûr le public initié, c’est à dire ceux qui ont plongé dans l’œuvre de Jung et de ses continuateurs, est au moins averti de l‘opportunité de l’inflexion nette de la démarche du fondateur de la psychologie analytique à partir du milieu de sa vie. La publication de ses recherches dans ses grands livres sur l’alchimie, les séminaires de Marie Louise von Franz, les évocations courageuses et passionnées de Etienne Perrot, les travaux de James Hilman, les commentaires effectués dans les Cahiers de psychanalyse jungienne, tous dans des genres très différents nourrissent le corpus et enrichissent la réflexion. Cet ouvrage, qui n’aurait pu être écrit sans les repérages phénoménologiques et les travaux herméneutiques précités, voudrait s’adresser à un public plus large que celui des spécialistes, et témoigner auprès de tous ceux qui de près ou de loin sont concernés par la psychothérapie de l’importance clinique de la connaissance de la philosophie et de la symbolique alchimique.
Lire la suite : Clinique alchimique. Alchimie et Psychothérapie. Le désir d’individuation.
- Écrit par : Bertrand de la Vaissiere
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Dans l’épilogue de Psychologie et Alchimie Jung nous rappelle (et nous répète après bien d’autres, cf Évangile de Jean) que se cherche en l’homme une conscience plus haute :
« en prenant comme base la psyché [...] nous entrevoyons la psyché humaine sous jacente qui, au contraire de la conscience, se transforme à peine au cours des siècles, et où une vérité vieille de deux mille ans est encore la vérité d’aujourd’hui vivante et active.
Nous y trouvons aussi ces faits psychiques fondamentaux, qui sont restés les mêmes depuis des millénaires, et qui seront encore les mêmes dans des millénaires. Vus sous cet angle, les temps modernes apparaissent comme des épisodes d’un drame qui commença dans les temps les plus reculés et qui s'étend par-delà les siècles juque dans un futur éloigné. Ce drame est une Aurora consurgens- la naissance de la conscience dans l’humanité »1.
La voie de l’individuation pourrait elle alors se définir comme une participation à l’incarnation de cette conscience ?
Notre intérêt pour la philosophie alchimique provient de ce qu’elle décrit, sous une forme projetée, ce qui se cherchait:
« Le processus alchimique était essentiellement une exploration chimique, à laquelle se mêlaient, par voie de projection, des contenus psychiques inconscients [...]. Du fait du caractère impersonnel, purement objectif, de la matière, ce sont les archétypes, impersonnels et collectifs, qui sont projetés; en premier lieu [...] c’est l’image de l’esprit prisonnier dans les ténèbres du monde -ou, en d’autres termes, le besoin de rédemption, condition de relative inconscience ressentie comme pénible- que l’homme reconnaît dans le miroir de la matière [...]. »2
Lire la suite : Introduction à une clinique alchimique. Psychologie et Alchimie